Si vous souhaitez aller plus loin
Le stress oxydatif, un principe de vie et d’évolution
Le stress oxydant – ou oxydatif – est un processus physiologique indispensable à la vie1. Utilisée dans le monde de la biologie et de la médecine pour la première fois en 1985, cette expression définit plus précisément un état de déséquilibre entre les attaques issues d’espèces radicalaires oxygénées (ERO) et les capacités de défense dont dispose un organisme2. Les ERO, plus connues sous le terme de radicaux libres, sont des espèces chimiques possédant un électron non apparié (également qualifié de célibataire, ça ne s’invente pas !), leur conférant un caractère très instable vis-à-vis des molécules environnantes. C’est un peu comme le jeu de la patate chaude : l’oxygène devenu instable va piquer un électron à son voisin, qui devient instable à son tour et qui va donc faire de même à son autre voisin, et ainsi de suite jusqu’à provoquer un vieillissement accéléré des cellules. Toutefois, la nature ne fait jamais rien au hasard. Si ces molécules sont produites par l’organisme, c’est qu’elles exercent des rôles bénéfiques sur la santé et ce dès les première étapes de la vie3. Savez-vous que les spermatozoïdes percent la membrane de l’ovocyte en utilisant le stress oxydatif ? Prenons un autre exemple, les cellules souches. Celles-ci ont aussi besoin du stress oxydatif pour initier leur différenciation en cellules spécialisées tant au niveau musculaire, qu’adipocytaire, nerveux ou que des gamètes4-7. A l’inverse, les ERO en excès altèrent le processus de différenciation8. C’est également grâce au stress oxydatif que des situations comme le jeûne ou la restriction glucidique exercent leurs principaux effets bénéfiques9-11. Mais surtout, sans lui, ni vous ni moi ne vivrions bien longtemps. Face au moindre virus ou bactérie pathogène, nous ne résisterions pas. En effet, votre système immunitaire a besoin de produire des ERO pour détruire les microbes auxquels il est confronté. En cas d’infection, les cellules immunitaires phagocytent l’agent étranger et le bombarde de monoxyde d’azote (NO), de peroxyde d’hydrogène et d’ions hypochlorite12,13. Elles vont alors produire des radicaux superoxyde (O2•-) à l’origine d’une véritable explosion oxydative de l’agent infectieux phacocyté14-16. Il en est de même en cas de blessure. Certaines enzymes impliquées dans le processus de l’inflammation comme les cyclo-oxygénases (COX) ou les lipoxygénases (LOX) (qui représentent d’ailleurs les cibles des anti-inflammatoires non stéroïdiens) sont également pourvoyeuses d’ERO. Ces derniers sont indispensables à l’initiation du processus inflammatoire et à l’activation de ce que l’on nomme l’inflammasome NLRP3, afin de permettre la réparation tissulaire17-21.
Le stress oxydatif ainsi généré doit toutefois resté contrôlé afin d’éviter que les ERO n’exercent des effets délétères, notamment une atteinte mitochondriale trop importante22,23. A l’inverse, une stimulation insuffisante de ce stress oxydatif, par exemple en cas de supplémentation nutritionnelle inadaptée, peut altérer le processus d’activation et de prolifération de la réponse immunitaire24,25. Tout est donc encore une fois une question d’équilibre. Une personne en bonne santé, notamment au niveau immunitaire, n’aura aucun intérêt à se supplémenter en antioxydants, bien au contraire, à la différence d’une personne fragilisée pour qui un apport pourra se justifier afin de « calmer le jeu ». Ce mécanisme régulateur pose alors la question de l’intérêt d’apporter des antioxydants à un individu immunodéprimé, pouvant accroitre la difficulté pour celui-ci de se défendre efficacement en cas d’infections26. Pour autant, son état de dépression immunitaire peut s’expliquer en partie par un stress oxydatif chronique et un déficit en antioxydants. C’est pourquoi il est indispensable de définir une stratégie nutritionnelle personnalisée, en particulier en cas de supplémentation en composés spécifiques aux effets antioxydants.
Il existe une autre source majeure de radicaux libres au sein de votre organisme, vos centrales nucléaires. En transformant les nutriments en énergie, les mitochondries produisent en effet d’incroyables quantités de radicaux libres. D’autres molécules pro-oxydantes peuvent être produites, comme les radicaux peroxyle ou hydroxyperoxyle impliqués dans la peroxydation des acides gras et la déstabilisation des membranes cellulaires.
Autre pourvoyeur d’ERO, votre foie. Pour dénaturer les molécules xénobiotiques auxquelles vous êtes confronté(e) chaque jour, le foie s’appuie sur le principe du stress oxydatif. Il attaque en effet littéralement les molécules étrangères afin de les dénaturer et les rendre ainsi inactives, avant de les solubiliser pour les éliminer par les reins. Les cytochromes P450 (pour rappel les enzymes à l’origine de la dénaturation des molécules dans le foie, voir article dédié au pilier Xénobiotiques), assurent également l’oxydation de nombreux composés autres que les xénobiotiques comme les hormones stéroïdes, la vitamine D ou encore les acides gras insaturés.
Les peroxysomes sont des petits organiques ne contenant pas de matériel génétique et aux rôles multiples. Ils permettent notamment de dégrader les acides gras par oxydation (ce que l’on nomme la béta-oxydation), de fabriquer les acides biliaires ou encore de dégrader les protéines et tous les déchets présents dans le cytoplasme (on pourrait les considérer comme les éboueurs des cellules en quelque sorte). Or, pour assurer leurs rôles, ils génèrent un stress oxydatif important, notamment en produisant du peroxyde d’hydrogène (plus connu sous le terme d’eau oxygénée) qui va être utilisé par une enzyme clé, la catalase. Nous en reparlerons. Et je pourrais ainsi poursuivre la liste des pourvoyeurs de stress oxydatif dans l’organisme, à travers de nombreux autres exemples, à l’image de la xanthine oxydase éliminant les purines.
La dose fait le poison
Cette expression bien connue pourrait trouver son origine 120 ans avant Jésus-Christ. Cette année-là, le roi du pont (aujourd’hui la Turquie) Mithridate V organisa un somptueux banquet au cours duquel il fut empoisonné. Son fils ainé, craignant que sa mère lui préparât le même sort, s’exila pendant 7 ans pour ingérer régulièrement de petites doses de ce poison, convaincu qu’il deviendrait ainsi plus résistant à un empoisonnement potentiel. Il revint par la suite pour occuper le trône pendant les soixante années suivantes, tout en continuant de boire chaque jour un cocktail de 54 composés toxiques, nommé pour l’occasion Antidotum Mithridaticum. Son peuple et la famille royale firent de même pendant les 1900 années suivantes…
Comme vous l’avez certainement compris depuis le début de ce livre, la vie repose sur le principe d’équilibre cellulaire, l’homéostasie, à savoir le maintien d’une balance entre les sollicitations nécessaires à l’évolution des espèces, les stress cellulaires, et la capacité à se protéger des dommages collatéraux des ERO par des systèmes de protection efficients. Considéré dès 1956 par le Pr Harman comme à l’origine du veillissement27, le stress oxydatif apparait en réalité davantage comme un mécanisme régulateur complexe et vital bien plus que le simple responsable de l’altération des structures cellulaires28,29. D’ailleurs, une surexpression des enzymes antioxydantes n’apparait pas comme un facteur de protection supplémentaire contre le vieillissement30. Pour autant, lorsque les capacités de contrôle du stress oxydatif sont dépassées, soit parce les systèmes de défense sont insuffisants, soit car les agresseurs sont trop puissants ou trop nombreux, la situation peut rapidement se compliquer. Ces fameuses espèces radicalaires oxygénées, notamment le peroxyde d’hydrogène, s’attaquent en effet à l’ensemble des structures cellulaires. Il en résulte alors :
Pour renforcer ses défenses en cas de stress oxydatif majeur, l’organisme va initier des modifications épigénétiques. En d’autres termes, les ERO peuvent agir comme de véritables messagers cellulaires intervenant sur différentes voies de régulation de l’expression des gènes36-39. Le stress oxydatif peut donc être considéré sous un angle positif, à savoir comme un moyen utilisé par les cellules pour s’adapter aux effets de l’environnement, à condition que ce stress demeure modéré. Nous retrouvons à nouveau le principe de l’hormèse évoqué dans l’article sur l’inflammation positive. Les ERO peuvent être considérés comme des messagers de la réponse inflammatoire.
Ultra-violets et stress oxydatif. Les rayonnements du soleil, mais aussi les rayons X et gamma, sont de puissants initiateurs de stress oxydatif40. Ils provoquent d’ailleurs ce fameux teint halé, le bronzage, voire un coup de soleil si le stress oxydatif a été trop important du fait d’une exposition massive41.
La fumée de cigarette. Selon une revue systématique du Dr Pryor, chaque bouffée de cigarette équivaut à 1014 radicaux libres apportés par le goudron et 1015 par la fumée.
Les métaux lourds. Les ions métalliques à l’état libre comme le fer et le cuivre sont de très puissants pro-oxydants. On peut également citer le cadmium, le mercure, le nickel, le plomb, le chrome, le vanadium ou encore l’arsenic42.
L’alcool. Comme je l’ai évoqué dans le chapitre dédié au pilier mitochondrial, un des principaux mécanismes expliquant la toxicité de l’éthanol est justement son effet pro-oxydatif43, notamment envers les mitochondries neuronales44, hépatiques (expliquant la cirrhose) et cardiaques44,45.
Les médicaments. La toxicité de certains médicaments peut être provoquée par un stress oxydatif majeur, notamment au niveau du foie, des reins, du système cardiovasculaire et du système nerveux46. La doxorubicine (un antibiotique utilisé en chimiothérapie) est par exemple à l’origine d’une toxicité cardiaque47, l’azythromycine (un autre antibiotique) génère quant à lui une toxicité cardiaque, neuronale et musculaire48, le diclofenac (anti-inflammatoire) touche les reins et le foie49, la cysplatine (anticancéreux) les reins50, le paracétamol le foie51,52 et la chlorpromazine (antipsychotique) la peau53. Cette liste n’est malheureusement pas exhaustive.
Les biocides. Un des principes d’action des biocides est justement de générer un stress oxydatif majeur54, surtout pour altérer le fonctionnement des mitochondries. C’est par exemple le cas du diquat, du DDT et du paraquat55-59, mais aussi du pyrèthre (un insecticide naturel issu d’une plante vivace, le pyrèthre de Dalmatie, dont des traces peuvent être retrouvées dans le foie, les reins, le cerveau et les globules rouges)60-63, des composés organophosphorés64-67 ou encore du chloryrifos68,69. Une étude menée auprès d’agriculteurs de l’Oregon a mis en évidence un taux de 8-OHdG (un marqueur de dommage oxydatif de l’ADN) 8,5 fois plus élevé que dans la population contrôle70. C’est une des raisons expliquant les effets cancérogènes de certains biocides71-74.
Les polluants. De nombreux polluants autres que les biocides exercent leurs effets délétères par des dommages oxydatifs, à l’image des PCB75-77, dioxines78-80, bisphénols A, F et S81-87, mais aussi d’édulcorants (aspartam88,89, sucralose90,91), d’additifs comme le polysorbate 80,92,93, de nanoparticules94,95 et notamment du dioxyde de titane96-99.
La dette de sommeil. Une dette de sommeil, en particulier dans sa phase paradoxale, augmente le niveau de stress oxydatif dans l’hippocampe, le thalamus et l’hypothalamus100. Dès 1994, le Pr Reimund émit l’hypothèse qu’un des principaux rôles du sommeil consisterait à réparer les dommages oxydatifs générés au cours de la phase d’éveil101,100. Les études apparaissent toutefois contradictoires102-106. L’explication se trouverait dans la récurrence de dette de sommeil : alors que chez l’animal un manque de sommeil ponctuel a plutôt tendance à renforçer l’activité antioxydante de l’organisme dans un objectif adaptatif, une dette chronique quant à elle affaiblit progressivement la protection antioxydante107,108. Un niveau élevé de stress oxydatif semblerait même agir comme un inducteur du sommeil dans le but de lancer le processus de réparation des dommages cellulaires. A l’inverse, une quantité modérée d’ERO favoriserait l’état de veille109,110,26.
Les émotions. Des ERO sont ainsi produits en permanence par les quelques 86 billions (86 000 milliards) de neurones aux conséquences multiples sur le fonctionnement cérébral111,112. Ils jouent par exemple un rôle essentiel au développement et à la régénération neuronal113,114, mais aussi à la régulation des neuromédiateurs115,116. Un stress oxydatif chronique peut toutefois altérer la communication et l’intégrité de la membrane des neurones, voire leur mort117. Les mécanismes de certains antidépresseurs s’appuient d’ailleurs sur la réduction des dommages oxydatifs118-122.
L’activité physique. Elle permet d’améliorer, tant au niveau quantitatif que qualitatif, les systèmes de réparation induits par les dommages oxydatifs et le niveau de protection antioxydante. Cette adaptation positive est permise grâce à la stimulation de la biogénèse mitochondriale via des mécanismes épigénétiques. Lorsqu’ils demeurent contrôlés, les ERO peuvent donc être considérés comme des inducteurs de l’adaptation à l’effort123-125, y compris pour favoriser le développement de la force126 et ce de manière dose-dépendante. Une telle capacité d’adaptation aurait d’ailleurs contribué, selon de nombreux auteurs, à l’évolution de l’homme au cours des derniers millions d’années127-129. En clair, vous avez besoin de stress oxydatif pour améliorer vos performances.
Le stress oxydatif est étroitement lié à l’inflammation de bas-grade et je vous invite à en découvrir les mécanismes dédiés au chapitre dédié au pilier correspondant. Les principales conséquences d’un stress oxydatif majeur et chronique sont multiples : cancer130,131, maladies cardiovasculaires132-134, diabète de type 2135-137, maladies neurologiques138,139, polyarthrite rhumatoïde140-142, maladies auto-immunes143,144, DMLA (Dégénérescence Maculaire Liée à l’Age)145,146, cataracte147,148, arthrose149-151, ostéoporose152,153 ou encore vieillissement cutané154,155 (les fameuses rides mais aussi les taches brunes ou nævus).
Les LDL oxydés, les véritables coupables des risques cardiovasculaires ?
Davantage que l’accumulation de LDL dans le sang, c’est en effet leur oxydation qui est aujourd’hui considérée comme le facteur initiant les réactions pro-inflammatoires et conduisant à l’établissement, puis au développement de la plaque d’athérome133,156-159,160-163. Une fois oxydés, ces LDL augmentent l’expression de certains récepteurs à la surface des cellules endothéliales (les LOX-1157,162,164), ce qui engendre une mobilisation accrue des monocytes vers la paroi du vaisseau à l’origine d’une sécrétion importante de molécules inflammatoires (la vitamine E est un antioxydant particulièrement intéressant dans cette situation dans la mesure où elle réduit l’expression de ces molécules d’adhésion)165. Les monocytes infiltrés vont ensuite se différencier en macrophages se gorgeant des lipides oxydés pour devenir les fameuses cellules spumeuses et provoquer des stries lipidiques lorsqu’elles s’agrègent entre elles. En soi, un tel processus est bénéfique dans la mesure où il permet d’éliminer les LDL qui ne sont plus fonctionnels car oxydés. Toutefois, lorsque ces derniers sont présents en trop grande quantité, il en résulte des dommages de la paroi vasculaire à l’origine de la formation d’une chape fibreuse augmentant fortement le risque cardiovasculaire. Cette dernière est un amas de composés (collagène, fibronectine et glycosaminoglycanes) fabriqués par les cellules musculaires lisses et entourés de lymphocytes T renforçant encore davantage l’inflammation166. Dans un tel contexte, la précipitation de phosphate de calcium dans l’intima conduit à réduire l’élasticité artérielle et à une potentielle rupture de la plaque d’athérome sous l’effet du stress oxydatif158,167,168. Certains composés sont alors libérés, entraînant une thrombose, une occlusion de la lumière artérielle et une ischémie tissulaire. En d’autres termes, un infarctus du myocarde, un AVC ou une gangrène en fonction de la localisation. Même s’ils restent à confirmer chez des personnes en bonne santé, les effets bénéfiques des antioxydants sur l’oxydation des LDL est bien établie chez les individus à haut risque cardiovasculaire169,170.
Progression des facteurs de risque à l’athérosclérose et aux maladies cardiovasculaires médiées par le stress oxydatif et le dysfonctionnement endothélial. D’après Kyoung-Ha et al,. 2015171
En introduction, il est important de comprendre qu’il existe deux moyens principaux pour vous protéger du stress oxydatif. Vous disposez nos seulement de vos propres systèmes de défense, ce sont en quelque sorte vos pompiers intérieurs, mais aussi de brigades extérieures, les antioxydants végétaux.
Les systèmes de protection endogène
Les cellules disposent de nombreux pompiers, valeureux et efficaces. Il peut s’agir d’enzymes, que l’on nomme catalase, SOD et GPX, ou de molécules spécifiques :
Lorsque le stress oxydatif est modéré et les mitochondries fonctionnelles, les enzymes endogènes sont en mesure d’accroitre leur activité, tant en termes d’efficacité que de nombre et ce afin d’assurer une protection optimisée. C’est le principe de l’hormèse si fréquemment évoqué et permettant à l’organisme d’améliorer son fonctionnement. Néanmoins, un tel mécanisme possède ses limites. Aussi efficient soit-il, il n’est pas à lui seul suffisant pour neutraliser les ERO auxquelles est soumis l’organisme au quotidien, d’autant plus si le stress oxydatif est important et/ou chronique, ou s’il existe des déficits dans les minéraux indispensables au bon fonctionnement des enzymes (zinc, cuivre, manganèse et/ou sélénium). C’est alors qu’entrent en scène les antioxydants végétaux173.